jeudi 29 décembre 2011

Salinité dans la région de Berri: suite et fin.


“Every 1 EC increase at Morgan costs South Australia about $110,000 per year in infrastructure damage and lost agricultural production.”
Phil Cole, Salinity Manager, MDBA

Nous habitions pendant une semaine chez Barry Porter qui travaille au Department for Water de Berri depuis une trentaine d’années. Il a pu nous faire part de sa connaissance approfondie des problèmes de salinité dans cette région et nous a fait visiter certains lieux intéressants.

Barry Porter mesurant la salinité de l'eau au Lake Bonney

Le suivi de la salinité 

Barry s’occupe du « monitoring » de la salinité, il s’agit de tous les relevés de terrain sur la qualité de l'eau et le débit de la rivière Murray.
Pour comprendre les mécanismes de la salinisation, il faut avant tout disposer de données fiables et régulières. Pour cela, le Department for Water a mis en place de nombreuses stations de mesure en différents endroit de la rivière. Ces stations fournissent des relevés automatiques et réguliers du niveau de l’eau et de la salinité de la rivière.

Ces stations mesurent la salinité et sont situés à intervalle de 10km le long de la rivière. La première d’entre elles fut installée dès 1985 (photo : Barry Porter).
D’autres techniques de mesure peuvent être employées pour certains sites comme le suivi de la salinité en 3 dimensions.  Cette technique permet un contrôle plus précis des zones d’infiltration d’eau salée.
Suivi de la salinité en 3D à Bookpurnong (Department For Water, 2009).
Cette nouvelle technique permet de remarquer que les flux d’eau salée proviennent du fond de la rivière sur la rive gauche, en contrebas des zones irriguées. Ces résultats confirment donc les modèles hydrologiques.

Les solutions et la situation actuelle


Les moyens mis en œuvre pour réduire la salinité peuvent être apportés à différents niveaux : 
-          Le Murray Darling Bassin Authority : il gère tous les projets et la politique à adopter au niveau du bassin
-          Le gouvernement du South Australia via le Department for Water et les centres de recherche
-          Les associations locales (comme les Local Action Planning Groups)
-          Les agriculteurs
Tous ces acteurs ont permis ensemble d’apporter des solutions globalement efficaces à tous les niveaux. 
L'une des nombreuses pompes installées à Loxton
L’installation d’un système de récupération des eaux de drainage, de pompes et de bassins de stockage a permis une nette diminution du  volume d’eau salée s’infiltrant dans la rivière. Ce système d’interception de sel (Salt Interception Scheme) véhicule l’eau salée ainsi pompée jusque dans de grands bassins où le sel s’y évapore petit à petit. Parfois, l’eau peut être utilisée pour l’aquaculture et le sel peut être commercialisé (par exemple : le sel de table de Pyramid Hill est très réputé) !
Par exemple, au niveau du barrage Lock 4, le système de pompage a réduit de 2000 à 40 tonnes/jour l’infiltration de sel dans la rivière.


Le système de pompage de Bookpurnong a totalement annulé l’aflux de sel dans la rivière entre 2005 (courbe rouge) et 2006 (diagramme noir) (source : Barry Porter, 2009).
Les centres de recherche comme le CSIRO ont permis de comprendre les mécanismes hydrologiques et mènent des projets de réhabilitation de plaines inondables (voir l’article précédent concernant la plaine inondable de Bookpurnong).
Les Local Action Planning Groups mettent en œuvre de leur côté des projets environnementaux. Au niveau du Yatco Lagoon (cliquez ici pour voir la carte), le barrage en amont a modifié le débit de la rivière et a annulé l’alternance sécheresse-inondation, ce qui a entrainé une perte de biodiversité. Les associations de protection de l’environnement locales ont construit un barrage pour recréer les conditions naturelles du débit de la rivière et de ses crues. Ceci a permis une revégétation naturelle de cette plaine inondable.
Enfin, les agriculteurs ont amélioré leurs méthodes d’irrigation et leur gestion de l’eau en général. Nous y reviendrons dans un prochain article !
Graphe de l’évolution de la salinité sur 20 ans entre Lock  5 (barrage en amont) et Lock  2 ( Barry Porter).
Toutes ces actions sont positives et on observe effectivement une réduction  progressive de la salinité depuis une dizaine d’année.
Malgré tout, il convient d’être prudent. La situation semble s’améliorer en effet.  Mais est-ce en partie dû à la sécheresse de ces dernières années qui a réduit le niveau des nappes ?
Les problèmes de salinité sont loin d’être réglés et la région continue à investir de grandes sommes d’argent pour maintenir les systèmes de pompage. Qui plus est, les grands bassins d’évaporation ne sont pas totalement imperméables et laissent échapper eux-aussi une quantité de sel non négligeable dans les nappes.
Nous tendons à penser que les solutions apportées sont peut-être efficaces à court terme mais ne peuvent pas être durables à long terme ! Pendant combien de temps les australiens peuvent-ils supporter financièrement le déploiement toujours plus complexe de systèmes de pompage, les crues artificielles des plaines inondables, l’entretien des bassins de stockage ? Le problème subsiste à sa source et il convient de s’y pencher dans les prochaines années si l’Australie veut demeurer une nation agricole.

Prochain article : Nous partons de Berri pour suivre la rivière et finalement quitter l'Australie Méridionale. Rendez-vous avec le Department of Primary Industries de Dareton en Nouvelle-Galle du Sud!

jeudi 22 décembre 2011

Bookpurnong

Nous avons été conviés par Kate Holland, chercheuse au CSIRO d’Adélaïde, à la suivre lors de sa sortie terrain le 25 et 26 octobre. Nous l’avons donc retrouvée de bonne heure à Berri, et sommes partis pour Bookpurnong.

Plaine inondable de Bookpurnong


Description du site

Bookpurnong est composé de 500 ha de plaines inondables adjacents à 1200 ha d’irrigation.
La végétation de ces plaines inondables est dominée par trois espèces d’arbres : le célèbre River Red Gum (Eucalyptus camaldulensis), le Black Box (Eucalyptus largiflorens) et le River Cooba (Acacia stenophylla).
Le climat est semi-aride avec un long été chaud et hiver doux.
Petit rappel: l’irrigation intensive de cette région semi-aride a entraîné une augmentation de la pression hydraulique et saline de la rivière ainsi que celle des plaines inondables. En effet, l’excès de drainage d’eau d’irrigation a augmenté le niveau de la nappe entrainant une salinisation des sols au niveau des plaines inondables.

La salinisation des sols et le contôle du débit de la rivière, en annulant les crues au niveau des plaines, ont gravement nuit à cet écosystème unique.
Le projet de réhabilitation de Bookpurnong
Un système de captage du sel des eaux souterraines a été mis en place à Bookpurnong. Il est nommé le SIS (Salt Interception Scheme) et est composé de 23 points de contrôle, dont 7 sur les hauteurs et 16 dans les plaines inondables.
Cette étude pilote, réalisée sur les plaines inondables de Bookpurnong, regroupe aussi bien l’étude de l’hydrologie, l'écologie, l'hydrologie et la géophysique. Elle a pour but de réunir les informations importantes sur la réhabilitation des plaines inondables, et ainsi l’appliquer sur un plus grand nombre situées à proximité de la Rivière Murray. Mais surtout, l'objectif est d'évaluer les bénéfices écologiques liés à la création de crues artificielles à court et moyen terme.




Vue d'ensemble du sites et des balises d'observation du site de Bookpurnong ( Department of Water, Land and Biodiversity Conservation, 2009).

La plaine de Bookpurnong est découpée en plusieurs sites sur lesquels se déroulent des expérimentations différentes.
Site A:
Des crues artificielles sont réalisées sur ces 3,7 ha pour améliorer la santé des Eucalyptus Red gum près de la rivière. Le but est d’extraire par lessivage le sel du profil de sol afin de réduire la quantité de sel au niveau des racines pour fournir des conditions favorables à la germination.
Site B :
Induction d’un mouvement latéral d’eau fraiche de la rivière à travers les aquifères (endroit de stockage perméable où l’eau peut circuler et y être stockée) des plaines inondables.
17 balises ont été installées pour observer les eaux de surface et sous terraines au niveau de ses aquifères.
Site D :
Réalisation d’inondations de surface artificielles sur les criques asséchées et observation de la réponse de la végétation.
Site E :
 Injection d’eau fraîche de la rivière dans les aquifères d'une plaine inondable modérément saline et contrôle de la réponse par l’observation de la santé de la végétation (une communauté d'arbres donnée). Cet essai est assez compliqué à mettre en place du fait que son succès dépend de la capacité à injecter un volume d’eau suffisant.

Vous avez tout compris? Parfait! Continuons.

Notre action sur les différents projets en cours 

Nous nous déplacions de site en site en voiture sur des chemins plus ou moins aventureux, puis à pied à la recherche de nos balises. 
-Prélèvement d’échantillons du sol
Durant les deux jours de terrain, un foreur a réalisé les prélèvements d’échantillons de sol au niveau des différentes balises. Son matériel lui permettait de forer jusqu’à 5 mètres de profondeur.
Forage réalisé à coté d'une balise
Les forages étaient réalisés au plus prêt de la balise et à des profondeurs différentes selon la hauteur de la nappe phréatique. Nous prélevions les échantillons dans des bocaux tous les 50cm et réalisions une description (couleur, texture..). .
Par la suite le potentiel osmotique sera mesuré pour étudier la salinité ainsi que le potentiel matriciel pour l’humidité.  
Dr Kate Holland récoltant les échantillons 
 
-Mesure du niveau des nappes phréatiques
Durant le forage, nous réalisions la mesure des eaux souterraines grâce à un capteur sonore mis en place au bout d’un mètre gradué.

-prélèvement de l’eau de la nappe 
A l’aide d’une pompe reliée à un tuyau, nous prélevions l’eau des nappes phréatiques. Nous placions le système à la surface de l’eau puis mettions la pompe en marche. Nous prélevions un litre d’eau une fois qu’elle était devenue claire (entre 10min et 30min), puis l’a laissions reposer ( le temps de réaliser un nouveau prélèvement).

         Installation de la pompe          
Ecoulement de l'eau boueuse les premières minutes    


Nous transférions ensuite une petite quantité d’eau dans des flacons de 20cL, à l’aide d’une seringue munie d’un filtre.
Ces flacons seront analysés pour mesurer la concentration de sel, ainsi que d'autres ions comme le Magnésium et le Potassium.

-Prise des photos à des endroits précis
A l’aide des clichés pris début septembre, où il était précisé le site et le numéro de la balise, nous devions retrouver l’endroit exact de la photo pour en réaliser une similaire, en portrait ou paysage. Ces photos ont pour but d’observer l’évolution de la flore, l’apparition des nouvelles plantules d’Eucalyptus ou les branches cassées, les arbres morts, etc.. en réponse aux différentes expérimentations réalisées sur ce site.



Résultats précédents
Les résultats sont positifs dans l’ensemble, seul le site E, où de l’eau fraiche était injectée, n’a pas eu de réponses concluantes. En effet, une amélioration de la santé des 6 Red Gum testés n'a pas été observée. La seule réponse positive observée s’est déroulée 3 mois après l’injection mais coïncidait avec une grosse averse de pluie.
 
Sol avec peu de structure et très facilement modelable (car fortement sodique) que nous pouvons constater ici avec cette empreinte de kangourou.


Structure plus marquée avec le
début d'une nouvele végétation

Les fissures nous montre un début
de structure avec des traces de sel en surface




Cette étude nous indique qu’il y a une bonne connexion entre la rivière Murray et les aquifères des plaines inondables. Nous pouvons d’ailleurs constater une amélioration de la structure du sol, qui permet une re-végétation. Il faut tout de même noter que ce sol a une bonne structure pour un milieu naturel mais qu’il est inutilisable en tant que sol agricole.

Ces expérimentations vont prochainement être testées sur d’autres plaines inondables. 


Ces deux journées ont été très formatrices pour nous, nous avons beaucoup apprécié d'être sur le terrain en compagnie de chercheurs.

samedi 10 décembre 2011

Salinité dans la région de Berri: mise en contexte


Un paysage contrasté : entre Mallee et Citrus

Dans cette région à la frontière de trois états (South Australia, New South Wales et Victoria), la végétation naturelle est adaptée à un climat plus aride. Les arbres caractéristiques de cette région sont les Mallee, à l’aspect bien différent des majestueux Red Gum toujours présent le long de la rivière.

Le sol sableux et rouge ne semble contenir que très peu d’éléments nutritifs. Et pourtant, cette région est aussi caractérisée par ses énormes exploitations viticoles et arboricoles, largement irriguées et intensives. On passe donc brutalement d’un paysage semi-aride à de larges parcelles de vignes ou de citrus lorsque l’on s’approche de la rivière ou des quelques villes peu peuplées.
La seule vue de ce contraste nous laisse comprendre pourquoi les problèmes de salinité sont si importants dans cette région, et quelle en est son origine.  Je me lance :
L’irrigation intensive de cultures non adaptées au sol et  à un climat semi-aride peut-être ?
Quoiqu’il en soit, ce secteur génère d’importants revenus et il a fallu trouver une solution efficace pour limiter le problème de salinité, quitte à débloquer des fonds colossaux. La principale préoccupation, outre le besoin de préserver un bon rendement agricole, est de minimiser l’écoulement de l’eau salée dans la rivière Murray. C’est pourquoi, le gouvernement et ses acteurs locaux ont mis en place un système complexe de drains, pompes et bassins pour évacuer et stocker les eaux de drainage fortement concentrées en sel.
Le décor est planté. Nous n’avons plus qu’à entrer dans les détails !

Les origines de la salinité 


L’irrigation mène à une augmentation du niveau de la nappe qui finit par se retrouver en surface au niveau des plaines inondables (schéma : Holland, 2010).
Depuis de nombreuses années, plus de 63000 ha d’horticulture et de vignes sont irrigués de façon intensive et presque continue autour de la rivière, du fait des faibles précipitations (300mm.an-1).  Comme je l’ai déjà mentionné dans les précédents articles, l’irrigation mène à une infiltration excessive d’eau jusque dans la nappe. Cette dernière va voir son niveau augmenter et peut se retrouver en surface en rupture de pente. De plus, l’eau souterraine a tendance à se déplacer vers la rivière et ses zones ripariennes. 

Il existe un flux régional de l’eau des nappes, particulièrement salé, vers la rivière Murray. Ceci explique en partie les problèmes de salinité de la rivière Murray et de ses « floodplains » (schéma : Jolly, 2009).
Dans la région, les nappes sont extrêmement salines. A Berri, elle est d’environ 25 000 µS.cm1 ! Ainsi toute remontée de nappe entraine de graves problèmes de salinisation. Pour compléter le tout, les zones de rupture de pente correspondent aux plaines inondables de la rivière Murray, regroupant un écosystème riche. Le sol y est fortement argileux, le sel va donc facilement s’y accumuler.

arbres morts dans le marais de Bookpurnong

Ainsi, l’irrigation intensive entraine de graves problèmes de salinité au niveau de zones particulièrement riches en biodiversité (« key ecological sites »). Et tout ce sel se retrouve dans la rivière, devenant problématique pour l’eau d’irrigation et la santé humaine en aval (lire l’article sur la salinité à Strathalbyn). Le problème est amplifié par la régulation du débit de la rivière, à cause des nombreux barrages. Les crues, permettant de chasser le sel accumulé au niveau des floodplains, sont devenues extrêmement rares. A cela s’ajoute le débit très faible de la rivière qui ne suffit pas à diluer le sel suffisamment.
La situation devint critique dans les années 80, lorsque la plupart des fermes voyaient leurs parcelles menacées par les problèmes de salinité. En 1990, on comptait 500 000 tonnes de sel déversés dans la rivière durant le mois de novembre !

Quantité de sel déversé dans la rivière dans la région de Berri en 2001. Les zones les plus problématiques sont au niveau du marais de Bookpurnong et de Loxton (schéma : Jolly, 2009).
Quelles furent les solutions mises en place ? Ont-elles vraiment été efficaces ? Quelle est la situation actuelle ? Autant de questions auxquelles je vais tenter de répondre à l’article suivant !